Comment le "jeu de Billard"

est devenu

"Billard Carambole" puis "Billard Français".

Pour comprendre le chemin parcouru par le "jeu de Billard" vers le "Billard Carambole" puis "Billard Français", il semble intéressant de remonter - succinctement - aux origines mêmes du jeu de Billard (plus d'informations au chapitre "Histoire du Billard et de ses tables") :

        Au 14ème siècle, un jeu d'"extérieur", de "Plein Champs", consiste à pousser des boules le plus loin possible à l'aide d'une crosse. Puis le jeu est limité à une surface plus restreinte, entourée de "buttées" ("la Courte Boule") et la règle va être de pousser sa boule sous un arceau avant de tirer au but (le "Tiret", sorte de quille fichée au sol) grâce à une crosse ou une masse qui porte le même nom que le jeu : le "Billart". Le Billard au sol est né.

        Au 15ème siècle, le jeu se transporte en intérieur et la 1ère table de billard connue apparaît. La règle reste la même : passer sous un arceau avant d'abattre une quille.

        Au 16ème siècle, apparaissent les "blouses" (ou poches) dans lesquelles on fait disparaître la bille adverse en évitant d'y tomber soi-même. L'arceau, la quille, la masse et la crosse n'ont pas encore changé.

        Au 17ème siècle, les tables de billard entrent dans les "Académies" et côtoient différents jeux d'argent peu recommandables (les Dés, le Piquet...) et sources de conflit. Le jeu de Billard n'échappe pas à cela, d'où la nécessité de mettre par écrit des Règles précises. En 1665 est publiée la 1ère Règle écrite connue du "Nouveau jeu de Billard tel qu'il se joue à présent". Le principe reste : 2 joueurs, une bille chacun, un arceau à franchir, une quille à renverser, des "blouses" où envoyer la bille adverse mais à éviter soi-même. Il s'agit du "jeu Ordinaire". Puis, très rapidement apparaît le "Jeu de la Guerre" qui permet à plusieurs joueurs (jusqu'à 9 ou 10) de jouer en même temps, chacun avec une bille personnalisée au début pour déterminer l'ordre de jeu. La règle est légèrement modifiée : la quille est supprimée mais l'arceau est conservé et chacun, à tour de rôle, cherche à pousser la bille adverse dans une blouse pour l'éliminer.

        Au 18ème siècle se produisent des changements dans la conception du jeu et le matériel utilisé mais on continue de jouer au Jeu de la Guerre, comme en témoigne la gravure de Nilson (1756) ci-dessous.



        Vers 1770, la quille, déjà supprimée, est remplacée par une bille "neutre" n'appartenant à personne mais qu'il convient de toucher avant ou après la bille adverse, pour réaliser un "Carambolage", mot français désignant l'action d'entrer en collision (volontaire ou pas) avec plusieurs objets ou obstacles. Cette bille neutre est teintée de rouge pour bien la différencier des 2 autres, et prend le nom de "Carambole", dérivé du "carambolage", donnant naissance au "jeu à la Carambole". Certains, plus tard, ont voulu rapprocher le mot "carambole"du fruit du carambolier, par analogie avec son aspect rond et rouge, une thèse non retenue. L'introduction d'une bille "neutre", non plus statique comme l'ancienne quille mais mobile car changeant de position à chaque coup, ouvre la voie aux séries (très modestes au début) de plusieurs carambolages en évitant de tomber dans une blouse. Les queues droites étaient déjà apparues au début du siècle pour un jeu plus précis, l'arceau disparaît à la fin du siècle. Le jeu "à la Carambole" présentait plusieurs variantes : "partie blanche, à écrire, Doublet à Doublet, de Lorraine, de la perte, de commande, de la Royale, à la Bricole".Tous ces modes de jeu "à la carambole" sont adoptés par tous les joueurs français puis européens et se jouaient donc avec 3 billes, 1 rouge et 2 blanches (sauf la "carambole à la Russe" qui nécessitait 5 billes : 1 rouge, 1 jaune, 1 bleue et 2 blanches).

        Fin des années 1700, on retrouve le mot "carambole" dans les deux gravures ci-dessous : 

  "Les joueurs à la Mode" (les règles de la Carambole - et du jeu de la Poule - sont affichées au mur)

et les "Règles de la Carambole" (identiques à celles de la gravure précédente).

 

        1799 : le mot "Carambole" apparaît en allemand dans le titre du livre autrichien concernant la 'partie blanche' (auteur anonyme, éd. G. Binz, Vienne) ci-dessous

..


  La vraie révolution intervient au 19ème siècle :

        1823, F. MINGAUD invente le "procédé" (petite rondelle de cuir collée au bout de la queue) permettant de réaliser des coups jusqu'alors inconnus tels que le "rétro". Il ouvre la voie aux surprenantes et très longues séries.

        1825, une série de 25 points est réalisée par PAYSAN (*).

        1827, MINGAUD publie son 1er livre en français : "Le Noble Jeu du Billard", proposant une quinzaine de points spectaculaires réalisés grâce au "procédé", livre traduit en anglais en 1830 (par la Firme THURSTON).

        1837, CHARRIER publie un livre montrant 56 coups à réaliser en évitant les poches. En voici deux qui sont basés sur une 'bricole'

double (à gauche) et simple (à droite).

1839, KENTFIELD, en Angleterre, publie, en anglais, un livre montrant une centaine de coups.

Vers 1850, les poches sont supprimées pour ne pas nuire aux séries.

Vers 1860, VENANCE réalise des séries de 50 à 60 pts, rapidement dépassées par BERGER.

1869, série de 132 pts par UBASSY.

1880, série de 1531 pts par VIGNAUD.

Invention de la "série américaine" par le canadien DION qui l'enseigne à VIGNAUD.

1890, série de 3000 pts par SCHAEFFER, sonnant le glas de la partie libre, bien trop monotone, à ce niveau, pour les spectateurs. On invente alors le jeu au cadre et le jeu par 3 bandes, tous deux beaucoup plus spectaculaires.

        Le billard Carambole à 3 billes, né et pratiqué en France, adopté par la majorité des pays européens, prend, naturellement et de façon logique, le nom de "Billard Français", synonyme de "Billard à 3 billes", par opposition au "Billard Anglais" : jusqu'au début du 19ème siècle, les Britanniques jouaient, comme tout le monde, au billard carambole à 3 billes mais découvraient aussi un jeu développé spécifiquement en Grande Bretagne : des tables de billard plus grandes, une multitude de billes multicolores, des règles différentes. Le Snooker était né. Lorsque les poches sont supprimées en France et en Europe, les Britanniques les conservent et se concentrent sur ce mode de jeu particulier. Le Snooker devient très majoritairement en vogue sur les îles Britanniques jusqu'à nos jours. L'Amérique du Nord adopte un jeu directement dérivé du Snooker. L'Italie et l'Amérique latine vont aussi développer des jeux de billard spécifiques comme le "5 quilles" et La Boccete, jeu à la main très prisé par Napoléon Bonaparte pendant son exil à l'île d'Elbe.

Le Billard Français (ou à 3 billes) reste, grâce à l'engouement mondial actuel pour le jeu par 3 bandes, le jeu de billard le plus joué dans le monde.

 

 

(*) PAYSAN, ainsi nommé à cause de son 'aspect extérieur' [1], inventa la "série" [2, 3] et se surnommait lui-même "Le Napoléon du billard" [3].

Selon un journal de l'époque, "PAYSAN s'est fait remarquer par le talent, maintenant si perfectionné, de rassembler les trois billes pour en tirer, ensuite, sans les éloigner, une série de carambolages qui ne laisse à l'adversaire que le loisir de demander le Moniteur". [1,3,4].


[1] MARTY Jean, Billards, Ed. du Garde-Temps, Paris, France, 2002.

[2] ALBOUKER Robert, Autour du billard. Découvertes. Gallimard N°162, France, 1992.

[3] TROFFAES Georges, Le billard et l'histoire. Chronique des temps passés. Ed. Laguide, Paris, France, 1974.

[4]
ANONYME, La physiologie du billard par un amateur. Ed. Ledoyen, Paris, France, 1860.

 

Crédit.

Cette page a été conçue avec la collaboration de Jean-Luc Chiche.


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